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Jean-Marie Granier

Un grand maître du trait : Jean-Marie GRANIER (1922—2007)

Exposition à la borie

Par une chaude fin d’après-midi de juillet, je prends la route pour aller visiter l’exposition Jean-Marie GRANIER. Au bout de ce long chemin de terre ombragé se dessine enfin La Borie, et c’est un grand moment de bonheur à la fois sur le plan intellectuel et sur le plan humain qui m’attend.

Au seuil de la vieille et coquette bâtisse cévenole où Jean-Marie GRANIER avait installé son atelier après avoir travaillé quelques années à Caveirac, je suis chaleureusement accueillie par son épouse qui me conduit vers le bâtiment qui abrite l’exposition. Une trentaine de gravures témoignent là du parcours de l’artiste. Un ami de M GRANIER, M Pierre CHAPON, peintre alésien de renom, est là aussi avec sa famille.

Le choix des œuvres exposées a été difficile, tant il fallait qu’un nombre limité de gravures suggère les moments clés d’un travail poursuivi sans relâche pendant plus d’un demi siècle.
Je parcours lentement les quelques pièces, et c’est la découverte d’un monde exceptionnel peuplé de signes. Le dessin est parfois figuratif mais la plupart du temps il va vers l’abstraction et donne naissance à une écriture originale en noir et blanc autour de thèmes très variés tels que les paysages méditerranéens (cévenols ou autres variantes), la tauromachie, les natures mortes, la ville et l’important thème du labyrinthe.
Une recherche d’absolue harmonie entre les lignes transparaît, et il me faut un temps de pause et de réflexion pour sentir cette nouvelle langue des signes.
Je me dis que tous ceux-ci appellent à être déchiffrés. Jean-Marie GRANIER nous donne une nouvelle version de l’univers, de l’arbre, de l’oiseau. Sa façon de    n’utiliser que la ligne et le noir et le blanc pour transcrire ses impressions est innovante. Elle nous amène à questionner le sens profond de notre vision du monde et de l’art en général.
Après un temps de flânerie, je me mêle au groupe, et la conversation évoque tour à tour les différentes étapes de la vie du dessinateur, ses innombrables gravures, sa façon de créer et son amour constant du trait.

Une vie de création

Venons-en à la biographie de l’artiste. Jean-Marie GRANIER est né à Lasalle le 25 mars 1922, de parents artisans ferblantiers depuis plusieurs générations. Il obtient le baccalauréat de philosophie en 1939 quand éclate la guerre. Après une année d’études à L’ Ecole des Beaux-Arts de Nîmes, il partage le sort de la classe 22, les Chantiers de jeunesse et le travail obligatoire en Allemagne. De retour en France, il reprend ses études à L’ Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris, et est admis en 1946 dans l’atelier de Cami.
Mais l’expérience de la guerre, les bombardements, la captivité, les tentatives d’évasion le confirment dans la conviction de consacrer sa vie au dessin. Malgré les pressions de sa famille qui souhaitait pour lui un poste dans l’administration, ce choix était irrévocable. Comme le précise Danièle CREGUT dans le catalogue de l’exposition de la rétrospective réalisée en 1984 au Musée des Beaux-Arts de Nîmes :
«Jean-Marie GRANIER choisit dès ce moment la gravure comme moyen d’expression exclusif. Elle convient à son propos: créer, faire surgir un monde par des moyens plastiques très limités, le noir, le blanc, la ligne seule, les pouvoirs de cette ligne sur un fond.» L’artiste avoue pour sa part qu’il a «toujours hésité entre écrire et dessiner».

En 1950 il est pensionnaire de la Casa Vélasquez de Madrid où il séjourne deux ans et s’ initie à la gravure au burin. La découverte de l’Espagne est capitale. Il va aux arènes comme, étudiant à Paris, il allait à la Foire du trône. Il a tout son temps pour travailler. La tauromachie, où tout geste doit être juste au risque de la mort, lui est une école de rigueur. Il est également sensible aux mouvements et aux éclats de lumière. «planches tauromachiques sont des ballets dont la chorégraphie tournoyante crée une extraordinaire impression de légèreté et confère aux figures une grâce aérienne», note Bartolomé BENASAR dans le catalogue de L’œuvre gravé tauromachique publié par Danièle CREGUT en 1981».

De retour à Paris en 1952, Jean-Marie GRANIER réalise de nombreux travaux d’illustration, qu’il s’agisse de manuels scolaires ou d’éditions de luxe. En 1959, il est nommé professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Nîmes où il restera jusqu’en 1978. Il réalise quatre expositions personnelles en 1972, 1975 et 1978, trois à Nîmes et une à Paris. Si cette courte insertion dans le circuit commercial se termine en 1978, il participe par la suite à de nombreuses expositions de groupes, notamment dans le cadre de sociétés de gravure telles que Le Trait.
        
En 1976, Jean-Marie GRANIER est nommé professeur de dessin à      L’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, puis en 1979 est chargé de l’atelier de gravure, succédant entre autres au peintre Lagrange et à Lucien Coutaud.
En 1981, Danièle CREGUT présente  sa thèse de troisième cycle : Jean-Marie GRANIER, œuvre gravé—Université Paris I, sous la direction de Jean LAUDE (arts et Archéologie).

En 1984, Victor LASALLE, conservateur du Musée des Beaux-Arts de Nîmes, organise une rétrospective de l’œuvre gravé dont le catalogue rédigé par Danièle CREGUT inventorie près de 300 numéros classés selon 4 périodes de sa création de 1946 à 1983.
Dix ans après, en 1994, le musée du Colombier à Alès présente les estampes réalisées de1984 à 1994.
En 1995, les oeuvres récentes de la série des Labyrinthes ont été exposées au Château de Vogüe.
En 2005 : Tauromachie à Nîmes.
Jean-Marie GRANIER était membre de l’Institut de France, membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis 1991 et  directeur du Musée Marmottan-Monet à Paris depuis 2000. Il a été promu au titre de Chevalier de la Légion d’Honneur en 2002.
Durant toute cette période, jusqu’ à son décès en 2007, il a partagé son temps entre Paris et les Cévennes où il avait son atelier.
Inutile de préciser qu’il laisse une œuvre considérable car il n’a cessé de produire, mais il n’a jamais pris place dans le circuit commercial artistique.
Je remercie vivement Mme GRANIER José et ses enfants Françoise et Pierre pour tous les renseignements qu’ils m’ont apportés ainsi que pour les prêts bibliographiques.
Je terminerai en donnant la parole à deux personnes qui ont vu en Jean-Marie GRANIER un précurseur et un homme de grand talent : l’écrivain Jean CARRIERE, aujourd’hui décédé, et Jean-Louis VIDAL, actuellement Président du Centre d’art Jean-Marie GRANIER.

En 1975 :  Jean CARRIERE écrivait «regardant ces images, j’ai pensé à une sorte de langue inconnue écrite au burin ou à la pointe d’acier. J’ai pensé : fossiles, empreintes, traces sur la la neige, messages écrits. Le secret de cet écrivain-graveur est de lire et d’écrire le monde avec des signes qui n’ont encore servi à personnes.»

Actuellement, Jean-Louis VIDAL travaille à la conservation et à la mise en valeur de l’œuvre de Jean-Marie,
En déchiffrant les écrits de l’artiste, il est le témoin de la pensée toujours vivante de Jean-Marie GRANIER qui s’exprimait ainsi : «Etre poète c’est avoir affaire avec le monde des signes, dessiner pour s’en débrouiller.»
«rencontre des formes en mouvement dans l’espace lumineux donne des signes»nullchose de végétal, mais un langage qui s’écrit».
Enfin je laisserai la conclusion à Mme GRANIER qui rapporte une des dernières paroles de son époux :
 
« Ca ne m’intéresse plus de vivre si je ne peux plus dessiner»

 

Violette AURIOL